Diérèse et synérèse


Diérèse et synérèse

Définition : n.f. (grec diairesis, division) : Prononciation en deux syllabes d'une séquence formant habituellement une seule syllabe. Son contraire : synérèse (fusion de deux voyelles contiguës en une seule syllabe). L'important de cette notion, c'est de savoir avec certitude à quel moment il faut compter une ou deux syllabes pour le mot concerné : Pour ce propos, j'ai repris le tableau créé par Martin Saint-René et rapporté par Hermine Venot-Focké (présidente des poètes classiques de France il y a quelques années et peut-être encore aujourd'hui !), tableau reproduit dans le traité de Gilles SORGEL.




Diphtongue 
Nombre de syllabes 
Cas 
ia 
2 
Dans la majorité des mots : di-a-mant, confi-a, fi-li-al 
1 
Exceptionnellement dans diacre, fiacre, diable 
1 
Dans les mots où elle s'écrit YA (im-pa-ya-ble) 
1 ou 2 
Dans liard, miasme, yatagan 
 
2 
Dans les verbes en ier de la première conjugaison à l'infinitif, à la 2ème personne du pluriel du présent de l'indicatif, de l'impératif et au participe passé : co-lo-ri-er, ri-ez, co-lo-ri-ez 
2 
A la deuxième personne du pluriel de l'imparfait des verbes en i-er, en er quand l'er est précédé de deux consonnes différentes : pu-bli-ez, con-tem-pli-ez 
2 
A la deuxième personne du pluriel du conditionnel des verbes lorsque l'i-ez est précédé de deux consonnes différentes : re-ce-vri-ez, mor-dri-ez 
2 
Dans tous les mots où elle est précédée de deux consonnes différentes : ta-bli-er, en-cri-er 
2 
Dans tous les mots en i-é-té : so-bri-é-té 
1 
Dans tous les autres mots où elle est précédée d'une seule consonne ou de 2 consonnes semblables : her-bier, ta-pi-ssier 
1 
A la deuxième personne du pluriel du conditionnel des verbes où l'i-ez est précédé d'une seule consonne ou de deux consonnes semblables : prie-riez, pou-rriez 
1 
A la deuxième personne du pluriel de l'imparfait de tous les verbes autres qu'en i-er et des verbes en er quand l'er est précédé d'une seule consonne ou de deux consonnes semblables : pre-niez, lais-siez 
1 
Dans les mots où elle s'écrit en : no-yer, ap-pu- 
 
2 
A la première personne du singulier du passé simple des verbes en ier de la première conjugaison 
2 
Dans les mots où l'e ne porte pas d'accent (iesse, iel, iet, ief, + iaire)[Retour chariot]Har-di-esse, es-sent-ti-el, in-qui-et, gri-ef, no-bi-li-aire,hi-er 
iai 
1 
Exception : ciel, fiel, miel, bielle, nielle, vielle, relief, fief, avant-hier, chienne, pierre, lierre, fier, vieil, miette, assiette, bréviaire, concierge, vierge 
1 
Dans les mots formant le féminin de la diphtongue ien lorsqu'elle est, elle-même, comptée pour une syllabe : an-cienne, pa-ïenne, mienne 
1 ou 2 
Facultativement dans biais et biaiser 
1 
Dans les mots où elle s'écrit (avec l'accent) : siè-ge, fiè-vre, piè-ce 
2 
Sauf dans les mots où elle est précédée de deux consonnes différentes : pri-ère, meurtri-ère 
1 
Dans les mots où elle s'écrit : no-yèrent 
2 
Exceptions : hy-ène, y-èble ou hi-èble 
1 et 2 
" hier " autrefois s'employait en une seule syllabe. Depuis Boileau, il en compte deux.[Retour chariot]Hi-er sauf avant-hier qui s'est maintenu avec une seule syllabe 
io[Retour chariot]iau 
2 
Bri-oche, mi-au-ler 
1 
Exception : fiole, pioche, mioche, kiosque 
1 
Dans tous les mots où elle s'écrit YO ou YAU : jo-yau, lo-yau-té 
2 
Exception : my-ope, my-o-so-tis, électry-omancie 
iu 
2 
Dans les mots où elle est précédée d'une consonne : Si-ri-us, di-urne 
1 
Dans les mots où elle est précédée d'une voyelle : la-ius, ca-ius 
1 
Dans les mots où elle s'écrit YU : ra-yure 
oa 
2 
Bo-a, co-asser, cro-asser 
1 
Roan-ne 
[Retour chariot] 
2 
Po-é-sie, é-vo-hé, no-ël 
1 
Sauf quand elle a le son : poê-le, moe-lle, moe-lleux 
oi 
1 
Toi, roi, voi-là.. ; 
[Retour chariot] 
2 
Dans tous les mots : tu-er, su-er 
1 
Tous les mots sauf duè-gne 
1 ou 2 
Facultativement dans duel 
ui 
1 
Dans tous les mots 
2 
Sauf les mots en uité : an-nu-i-té, é-bru-i-ter 
2 
Exception : bru-ire et sa conjugaison : bru-is-se-mentBru-i-ne, bru-i-ner, ru-i-ne, ru-i-ner, ru-i-neux, dru-i-de, su-i-ci-de 
ieu 
1 
Lieutenant, es-sieu, pieu (pièce de bois) 
2 
Dans les noms ou adjectifs qui au singulier prennent un X ou sont suivis d'une consonne :[Retour chariot]Pi-eux (qui à la piété), su--ri-eur, St Bri-eux 
1 
Exceptionnellement dans mieux, vieux, cieux, mes-sieurs 
2 
Dans y-euse 
oua 
2 
Sou-abe, lou-a 
1 
Exception : doua-ne 
1 ou 2 
Facultativement dans zouave, ouate, gouano, fouaille 
oué[Retour chariot]ouè 
2 
Jou-et, clou-ais, prou-esse 
1 ou 2 
Facultativement dans fouet, fouetter, ouest, ouais 
oui 
2 
Ou-ïr, jou-ir 
1 
Sauf oui (affirmation) 
ian[Retour chariot]ien[Retour chariot]Même son 
2 
O-ri-ent, ri-ant 
1 
Exceptions : viande, diancre, fa-ience 
1 
Dans les mots où elle s'écrit YAN ou YEN 
ien 
1 
An-cien, pa-ien, bien, com-bien, mien, tien, sien, rien, chien, gar-dien, plé-bé-ien, vau-rien, pa-rois-sien, en-tre-tien, main-tien, sou-tien, bis-ca-rien, fau-bou-rien, A-miens, -bas-tienAinsi que dans les verbes comme tiens, vient.. ; 
2 
Sauf li-en 
2 
Si elle termine un nom ou un adjectif d'état, de profession, de pays : in-di-en, co--di-en, pa-ri-si-en.. ; 
1 
Sauf chré-tien 
ion 
1 
A la première personne du pluriel du conditionnel lorsqu'elle est précédée d'une consonne ou de deux consonnes semblables : li-rions, pour-rions.. ; 
1 
A la première personne du pluriel de l'imparfait des verbes lorsqu'il n'y a pas devant un r ou un l précédé d'une autre consonne, les consonnes " rl " allant ensemble : ai-mions, sa-vions, par-lions 
2 
Autrement : pro-met-tri-ons, sa-bli-ons, pu-bli-ons 
1 
Lorsqu'elle s'écrit YON : ra-yon 
2 
Sauf Ly-on 
oin 
1 
Loin 
uin 
1 
Suin-ter 
ouin 
1 
Mar-souin 
uan 
2 
Si-nu-ant, in-flu-ent 
1 
Sauf Don Juan. 



1- Introduction
diérèse : nom féminin, du grec diairesis, division. Dans un mot, prononciation en deux syllabes d'une séquence de deux voyelles contigües sans consonne interposée.
synérèse : nom féminin, du grec sunairesis, rapprochement. Dans un mot, fusion de deux voyelles contigües sans consonne interposée en une seule syllabe.
Dans une diérèse, les deux voyelles restent prononcées sans déformation. Ainsi dans "nuage", entend-on un [u] suivi d'un [a] : [nu-a-j']. La diérèse provoque donc un hiatus.
En revanche, dans une synérèse, la première voyelle est déformée et devient une semi-consonne. Ainsi dans "serions" entend-on un [y] (et non un [i]) suivi d'un [on] : [se-ryon]. La synérèse provoque donc l'apparition d'une diphtongue.
Dans le langage courant, certains mots peuvent changer de prononciation selon une quantité indéterminée de facteurs : on peut par exemple prononcer "tueur" en 1 (tweur) ou 2 (tu-eur) syllabe(s) selon la rapidité d'élocution. Or, la versification française étant basée essentiellement sur le nombre de syllabes des vers, il est important de savoir dans un poème quand compter (et prononcer) une ou deux syllabes quand un mot comporte une suite de voyelles sans consonne interposée. Les poètes ont très tôt senti la nécessité de définir une norme pour le vers, tâche complexe n'ayant que partiellement abouti. Faute de règle absolue, il s'est néanmoins fixé un usage, comme le fait remarquer Banville.
Cet essai n'a pas pour but de régler ce problème insoluble, mais il compile l'usage tel que rapporté par divers traités de versification. Il est à noter que si nombre de mots ont une prononciation invariable dans toute l'histoire de la poésie française (par ex. les mots en tion formant diérèse comme questi-on, rati-on), certains mots ont vu leur nombre de syllabes varier (sanglier, ouvrier, désinences en ions et iez des verbes) et certains mots d'usage courant (hier, ancien) sont laissés à l'appréciation de l'auteur.
Il est certain que l'usage du vers en matière de synérèse et diérèse peut être différent de celui de la prose. La prose préfère la synérèse, aussi existe-t-il des décalages comme pour le mot « hiatus » : ce mot est couramment prononcé avec une synérèse et un h aspiré : « le - hia-tus » ; or la prononciation correcte de ce mot, encore reconnue par les dictionnaires, est la diérèse et l'h muet : « l'hi-a-tus ».
Cet essai est en deux parties. UN TABLEAU RECAPITULATIF DE L'USAGE EST DONNE EN PARTIE 2. Cliquez ici pour accéder au tableau.
2- Quelques principes de base
Il existe quelques principes, ou règles, qui permettent de comprendre la plupart des cas de diérèse et de synérèse de l'usage poétique.
2-1 Règle 0 : l'étymologie
Comme pour le décompte de l'e muet, il serait faux de croire que le problème de la diérèse et de la synérèse est un problème contemporain. La dichotomie existant de nos jours entre le vers et la prose (prise dans le sens de langage courant), a toujours été, depuis les premiers balbutiements de notre langue. Aussi les poètes ont-ils dès la Renaissance senti le besoin de trouver une règle permettant de fixer le nombre de syllabes de chaque mot.
Une règle fut finalement édictée par Boileau, basée sur l'étymologie latine ou grecque : si les deux voyelles du mot français sont présentes dans le mot latin ou grec, il y a diérèse, dans le cas contraire synérèse.
diérèse
- rati-on vient du latin ratio, rationis
- li-on vient du latin leo, leonis (le e devenant i)
- li-er vient du latin ligare (disparition du g et are devenant er)
- avou-er vient du latin advocare (disparition du c, o devenant ou et are devenant er)
- di-érèse vient du grec diairesis
- hi-atus vient du grec hiatus
synérèse
- pied vient du latin pes, pedis
- dieu vient du latin deus
- fruit vient du latin fructis
- nuit vient du latin nox, noctis
- miel vient du latin mel
Cette règle a le mérite d'être simple. Elle souffre toutefois d'exceptions sur certains mots d'usage courant. Ainsi :
- sangli-er, du latin singularis porcus, devrait former une synérèse, il forme une diérèse, de même ouvri-er, du latin operarius. Comme nous le verrons plus bas, la synérèse dans ces mots est vraie jusqu'à Corneille, la diérèse est ensuite de rigueur,
- les désinences ions et iez des imparfait de l'indicatif et présent du conditionnel forment des synérèses, ils devraient former des diérèses. L'explication en est complexe et remonte au bas Latin, non au Latin classique.
- fuir, du latin fugere, forme une synérèse, et non une diérèse. La diérèse est pourtant l'usage jusqu'à la fin de la Renaissance. On trouve ainsi
« Donques doy-je fu-ir l'ardeur de l'autre Dieu ?
(...)
Que j'ay fu-y en vain tous les autres Amours ! »
(Pontus de Tyard, Elégie d'une dame énamourée d'une autre Dame)
- diable, du latin diabolus, du grec diabolos, ne compte que pour deux syllabes, et non trois,
- oui, de oïl, du latin hoc ille, devrait former une diérèse, il forme une synérèse
- les mots poètes, poèmes, poésie furent prononcés en synérèse pendant une courte période à la Renaissance. La règle de l'étymologie réintroduisit la diérèse, mais La Fontaine, qui aimait les archaïsmes, écrira encore au XVIIème siècle :
« Les traits dans sa fable semés
Ne sont en l'ouvrage du poète
Ni tous ni si bien exprimés.
Sa louange en est plus complète. »
(Jean de La Fontaine, Le Loup et le Renard)
Sur certains mots, l'usage n'est pas fixé :
- hier, du latin heri, est compté pour deux syllabes alors qu'il devrait former une synérèse ; en revanche il est bien compté pour une seule syllabe dans avant-hier (qui compte donc 3 syllabes),
- ancien, du latin ante, est laissé au choix de l'auteur
- on se rapportera enfin au traité de Banville dans lequel l'auteur n'est pas d'accord avec Victor Hugo quant au nombre de syllabes du mot "liard", l'étymologie de ce mot étant d'ailleurs incertaine.
On remarquera que les quelques exemples d'étymologie donnés ci-dessus ne sont pas toujours évidents. Il faut parfois avoir une connaissance poussée du Latin ou du Grec et de leur évolution pour produire le Français si l'on veut comprendre la structure du mot français actuel. L'étymologie ne remonte pas toujours au Latin classique, celui de Jules César par exemple, mais parfois au bas Latin, celui de la fin de l'Empire romain et du Moyen Âge.
Enfin, l'application de cette règle est tout à fait problématique de nos jours, non pas pour des raisons de divergence complète du Français par rapport à ses origines, mais plutôt par l'abandon de l'enseignement des langues anciennes à l'école (ce que l'on peut déplorer, mais qui est un état de fait), et par l'invasion de mots étrangers n'ayant aucune origine grecque ou latine (yatagan, mot turc, forme-t-il une synérèse ou une diérèse ? Faut-il faire l'élision sur l'article le précédant ? Faut-il dire le yatagan ou l'y-atagan ?).
2-2 Règle 1 : règle des familles de mots
Cette règle se déduit de la règle étymologique : les mots d'une même famille suivent la même règle de synérèse et diérèse.
Ainsi, ru-ine / ru-iner, inqui-et / inqui-étude, intenti-on / intenti-onnel forment une diérèse. Au contraire, il tient / entretien / maintien / soutien forment une synérèse.
Logiquement, lorsqu'un mot est dérivé d'un verbe se terminant par une diérèse à l'infinitif, ce mot forme aussi diérèse.
La première conséquence en est que les formes conjuguées de ce verbe forment également une diérèse : colori-er, d'où nous colori-ons, ils colori-èrent, colori-é, colori-ant...
La seconde conséquence se retrouve dans les mots (noms communs, adjectifs, ...) apparentés à ces verbes : par exemple, le verbe mari-er forme une diérèse, aussi le mari-age, la mari-ée forment-ils aussi diérèse ; de même plagi-er implique-t-il plagi-at, plagi-aire, ou encore rémédi-er, irrémédi-able.
Cette règle souffre également d'exceptions : les mots bruit, bruire, bruissement dérivent tous du latin brugere, or bruit forme synérèse, quand bruire et bruissement forment diérèse, d'après Théodore de Banville. On trouve cependant chez les poètes de la Pléiade bruire en synérèse :
« J'ay sous l'esselle un carquois
Gros de flèches non pareilles
Qui ne font bruire leurs vois
Que pour les doctes oreilles »
(Pierre de Ronsard, Premier Livre des Odes, Ode 3)
« Loir, dont le cours heureus distille
Au sein d’un païs si fertile,
Fai bruire mon renom
D’un grand son en tes rives, »
(Pierre de Ronsard, Quatrième Livre des Odes, Ode 6)
2-3 Règle 2 : règle des préfixes et des suffixes
Autre conséquence de la règle étymologique, un préfixe finissant par une voyelle (ex. pré-) ou un suffixe commençant par une voyelle (ex. -ité) formeront des diérèses avec des mots respectivement commençant et finissant par une voyelle.
Par exemple, "dioxyde" est formé du préfixe "di" et du nom "oxyde," il y a donc diérèse di-oxyde ; de même "ambiguïté" est formé de l'adjectif "ambigu "et du suffixe "ité", il y a donc diérèse ambigu-ïté.
Cette règle souffre d'exceptions : "miette" (de mie) et "assiette", par exemple, forment des synérèses, contrairement à "historiette" et "joliette", tous ces mots étant pourtant construits avec le diminutif ette.
« Je suis donc un Sot ? Moi ? vous en avez menti :
Reprend le capagnard, & sans plus de langage,
Lui jette, pour deffi, son assiette au visage.
L'autre esquive le coup, & l'assiette volant
S'en va fraper le mur, & revient en roulant. »
(Nicolas Boileau, Satire III)
« Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ; »
(Jean de La Fontaine, La Cigogne et le renard)
« Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies
La face du Seigneur se détourne de vous. »
(Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, Pour les pauvres)
« Tu veux que j'achète pour toi
Une ceinture verdelette
Et une bague joli-ette
Pour en orner ton petit doi »
(Pierre de Ronsard, Les Dons de Jaquel à Isabeau)
2-4 Règle 3 : règle C+l/r
Le cas de mots tels que sanglier, ouvrier, bouclier, meurtrier est intéressant. Selon la règle étymologique, ces mots forment des synérèses. On trouve par exemple, au XIIIème siècle chez Rutebeuf :
« Ci at fol ov-rier et fole euvre Fol ouvrier, folle œuvre
Qui par ouvreir riens ne recuevre : que ceux dont l'ouvrage ne peut rien recouvrer :
Tout torne a perte, tout tourne à perte,
Et la griesche est si aperte et la grièche est si habile
Qu' "eschac" dist "a la descouverte" qu'elle dit : "Echec à la découverte",
A son ouv-rier, à qui en fait son travail ;
Dont puis n'i at nul recouv-rier. après quoi, plus de recours.
Juignet li fait sembleir fev-rier : Elle lui fait prendre juillet pour février :
La dent dit "Quac" la dent dit "Clac",
Et la griesche dit "Eschac". » et la grièche dit "Echec".
(Rutebeuf, La Grièche d'été - traduction in Rutebeuf, Oeuvres complètes, Ed. le Livre de poche, coll. Lettres gothiques)
Ce fut le cas jusqu'à la Renaissance, ainsi Ronsard écrit-il ce décasyllabe :
« D’un trait meurt-rier empourpré de son sang »
(Pierre de Ronsard, Les Amours, Comme un chevreuil)
et du Bellay cet alexandrin :
« Ainsi chante l'ouv-rier en faisant son ouvrage »
(Joachim du Bellay, Les Regrets, Vu le soin ménager dont travaillé je suis)
A cette époque, des formes de verbes comme "devrions", "sembliez", forment également des synérèses.
C'est Corneille qui commença à compter systématiquement ces mots comme étant diérétiques, même si des exemples antérieurs existent. La règle qui en résulta est la suivante : lorsqu'une séquence de voyelles contigües est précédée de deux consonnes différentes, ou plus, dont la dernière est un l ou un r, il y a diérèse.
« Il est juste, grand roi, qu’un meur-tri-er périsse. »
(Pierre Corneille, Le Cid, Acte II, scène 8)
Cette règle fut fortement critiquée à l'époque, et l'on trouve toujours la synérèse chez Molière :
« Comme vous voud-riez bien, mani-er ses ducats ; » (L’Étourdi ou Les Contre-temps, Acte I, scène 2)
« Et vous dev-riez mourir d’une telle infamie. » (Le Dépit amoureux, Acte V, scène 7)
Néanmoins cette règle finit par s'imposer, créant quelques incohérences, notamment dans les désinences ions et iez des verbes :
- à l'imparfait de l'indicatif "vous aimiez" forme une synérèse, "vous sembli-ez" une diérèse,
- au conditionnel présent "nous aimerions" forme une synérèse, "nous devri-ons" une diérèse,
- mais on trouve également quatri-ème formant diérèse quand deuxième, troisième, cinquième, etc. forment synérèse.
Cette règle ne s'applique que si les consonnes sont différentes: en cas de double r ou de double l, il y a synérèse pour les noms communs (guerrier, verrier, collier, sellier), et diérèse pour les verbes (charri-er, alli-er).
D'autre part, cette règle semble ne s'appliquer qu'aux diphtongues commençant par un i. On lui trouve des exceptions dans les diphtongues commençant par d'autres voyelles, comme : fruit, bruit, groin, trois, gloire, qui forment tous des synérèses.
3- Quelques règles d'emploi des diérèses
3-1 Nombre de diérèses dans un vers
Il faut garder à l'esprit qu'une diérèse forme un hiatus, or l'usage de l'hiatus est fortement contraint en versification. En conséquence, il est interdit de faire entrer plus de deux diérèses dans le même vers.
« Va te purifi-er dans l'air supéri-eur »
(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Elévation)
Malgré une probable recherche d'effet, la présence de ces diérèses à la césure et à la rime me semble tout à fait disgracieux.
On trouve dans le manuel de l'abbé Louis cité en référence ces vers parodiques des vers de Delille :
« De la soci-été l'organisati-on
Pourrait stupéfi-er l'imaginati-on. »
Le désagrément sonore des diérèses, et par extansion des hiatus, y est flagrant.
3-2 La diérèse à la rime
On trouve chez tous les grands auteurs des rimes alliant une diérèse et une synérèse.
« Je vous trouve aujourd'hui l'âme tout inqui-ète,
Et les morceaux entiers restent sur votre a-ssiette, »
(Nicolas Boileau, Satire III)
On remarquera néanmoins que la rime diérèse / synérèse n'est employée chez les grands auteurs que pour des mots en synérèse qui ne trouveraient que difficilement une rime (assiette pour cet exemple).
Les traités ne sont pas d'accord sur ces rimes, certains les acceptent, d'autres les rejettent, encore ce problème n'est-il pas toujours abordé. Je ne peux que déconseiller ce type de rime : une diérèse ne rime qu'avec une diérèse, l'accouplement diérèse / synérèse à la rime
produisant souvent une rime pauvre, comme dans l'exemple suivant où le seul son commun entre les dernières syllabes des mots « ray-ons » et « révoluti-ons » est [on], et entre « graci-eux » et « a-ïeux », est [eu] :
« Quant au théâtre, il faut, le trône étant miné,
Étouffer des deux mains sa flamme trop hardie ;
Car la foule est le peuple, et d'une comédie
Peut jaillir l'étincelle aux livides ray-ons
Qui met le feu dans l'ombre aux révoluti-ons. -
Puis il niait l'histoire, et, quoi qu'il puisse en être,
À ce jeune rêveur disputait son ancêtre ;
L'accueillant bien d'ailleurs, bon, royal, graci-eux,
Et le questionnant sur ses propres a-ïeux. »
(Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, Le Sept Août 1829, II)
« Aïeux » rime bien mieux avec « yeux », puisque la syllabe rimant contient une semi-consonne en plus de la voyelle : la rime est en [yeu]. Cela ne rend pas la rime suffisante pour autant, l'appui n'étant pas réellement une consonne pleine. Une rime en [yeu] est intermédiaire entre une rime pauvre et une rime suffisante.
4- Quelques idées fausses sur la diérèse et la synérèse
Il est faux de définir la diérèse en tant que prononciation "poétique" par opposition à la synérèse qui serait la prononciation "prosaïque", "habituelle" ou encore "normale" d'un mot. Les mots "po-ète", "pri-ère", "bi-ologie", "di-érèse" contiennent des diérèses dans la prononciation courante, la diérèse est donc la "norme" pour ces mots, que ce soit dans un vers ou en prose. Diérèse et synérèse relèvent de la diction et non de la poésie ou de la prose, même si dans certains cas les deux divergent (pour les mots finissant par -tion par exemple).
L'usage de la diérèse ou de la synérèse n'est pas laissé au choix de l'auteur, mais relève d'un usage bien établi et quasi immuable. Il n'y a guère qu'à partir du XXème siècle que des poètes comme Paul Valéry, qui pratique encore le vers régulier, ne respectent plus cet usage. Paul Valéry justifiait le vers suivant :
« Si l'or triste interroge un ti-ède contour... »
(Paul Valéry, Album de vers anciens, Anne)
en précisant qu'il appliquait la diérèse au mot tiède, contre l'usage du vers qui voudrait une synérèse, « pour donner une impression plus voluptueuse ». Cet argument est défendable, selon J. Mazaleyrat (Eléments de métrique française, Albin Michel) :
« La diérèse étale, déroule plus largement le mot sur le vers ; la synérèse le fait passer plus vite, à la manière de la prose. La diérèse, dans la diction conservatrice et ralentie qu’elle implique, épanouit le mot et le solennelise, tantôt avec noblesse, tantôt avec douceur. La synérèse l’abrège et le durcit. »
Une telle analyse appliquée à des vers antérieurs au XXème siècle est un anachronisme. Ainsi dans les vers suivants :
« Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souri-ant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme. »
(Rimbaud, Le Dormeur du Val)
la diérèse semble-t-elle renforcer par son effet sonore lent l'impression générale de douceur du personnage dormant décrit par la phrase. Mais cette diérèse ne relève pas d'un choix de l'auteur, car Rimbaud respecte l'usage qui veut que souriant compte pour 3 syllabes : la synérèse est encore pour lui inenvisageable. Le positionnement judicieux des diérèses et synérèses subies est aussi la marque d'un grand auteur.
Pour les auteurs contemporains qui, comme moi, ne respecteraient pas l'usage, lorsqu'il se trouve une hésitation entre la diérèse et la synérèse, la synérèse est préférable. La prose préférant la synérèse à la diérèse, l'effet d'une diérèse appliquée à un mot qui n'a jamais connu que la synérèse est assez désastreux, voire ridicule, dans un vers, comme pour le mot juin dans ce vers d'Aragon :
« Mai qui fut sans nuage et ju-in poignardé »
(Louis Aragon, Les Lilas et les roses)
L'emploi de la diérèse ici ne paraît justifié que par un manque de syllabes. Cette diérèse fait l'effet d'une cheville, d'une licence pratiquée pour combler un vers boîteux. Cet effet désastreux est dans cet exemple d'autant plus évident que le vers comporte une autre diérèse dans « nuage », tout à fait normale celle-ci aussi bien pour le vers que pour la prose. Nous avons deux hiatus dans le même vers, dont un, « artificiel », qui aurait pu sans problème être évité.
On voit par ces exemples que diérèse et synérèse posent toujours des problèmes aux versificateurs contemporains. Je ne peux que conseiller le respect de l'usage aux plumes novices.